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Wednesday, July 23, 2014

Maurice Tarik Maschino- école -education


Vous dénoncez la politique de destruction de l'école, à l'oeuvre depuis des décennies ? Nostalgie ! Vous constatez que de très nombreux élèves savent à peine lire, ignorent l'orthographe et manquent totalement d'esprit critique ? Nostalgie ! Vous êtes scandalisé que les correcteurs du brevet et du bac reçoivent des consignes pour relever les notes de copies archinulles ? Nostalgie, vous dis-je !
Nostalgie, irrationalité, conservatisme : tels les médecins de Molière, les Diafoirus de l'Education nationale n'ont que ces mots-là à la bouche. Loin de réfuter, preuves à l'appui, les arguments de ceux qui constatent la mort de l'école, ils se contentent d'invectives et, retour à l'école de grand-papa ou à la grammaire de grand-mère, taxent de passéisme ceux qui défendent l'école de la République. C'est un peu court. Et rappelle la myopie de ceux qui, quand le doigt montre la lune, regardent le doigt.
Trop souvent, lorsqu'on s'interroge sur le présent ou le devenir de l'école, on raisonne comme si l'école était une entité, une sorte d'institution en soi, qui échapperait à toutes les contingences du moment. Alors qu'elle dépend étroitement du contexte socio-politique dans lequel elle s'inscrit et qui en fixe les modalités et les fonctions, qu'elle a toujours été au service d'une politique, d'une idéologie et des exigences des maîtres du moment, que ses fins, en un mot, ont toujours été extrascolaires : non pas la distribution au plus grand nombre du plus grand savoir, mais la répartition inégale du savoir entre les groupes sociaux et la place qu'ils occupent dans le processus de production.
Ces fins sont aujourd'hui très claires : au moment où le libéralisme gagne tous les secteurs de la vie socio-économique, où la privatisation des services, jusqu'à présent à la charge de l'Etat, s'accélère, l'école publique change complètement de nature. N'accueillant plus que les enfants des catégories sociales les plus «défavorisées» ou en déclin, comme les classes moyennes, elle n'a plus pour mission de transmettre des connaissances ­ des enseignants ont été sanctionnés pour continuer à le faire ­ mais de gérer au mieux une population dont il ne s'agit plus d'élever le niveau.
Si «l'ascenseur social» est en panne, comme on le répète, c'est pour la raison très simple que les classes dirigeantes n'ont plus besoin, comme à l'époque de Jules Ferry et de l'essor industriel, du savoir et du savoir-faire de la majorité des citoyens : que ceux d'en bas restent donc au sous-sol ou dans les caves de la société.
Et qu'ils y restent tranquilles. Mieux : qu'ils s'«épanouissent» dans cette école devenue un «lieu de vie», où l'on ne s'ennuie plus à apprendre la grammaire, à faire des dictées, des rédactions et des dissertations, à lire des textes auxquels on ne comprend rien...
Au diable le bourrage de crâne, que les verbes et les sujets s'accordent comme bon leur semble et qu'en attendant de trouver une place d'apprenti, dès 14 ans, les «apprenants» s'amusent à faire des crêpes (école élémentaire), s'initient aux jeux de la Bourse («les Masters de l'économie», installés sur Internet dans les établissements par le CIC), rédigent un journal sportif, mettent en scène un JT ou, en seconde, racontent à la façon d'un journaliste people la rencontre de la princesse de Clèves et du comte de Nemours...
Facéties de maîtres «super-modernistes» ? Nullement : mise en pratique des directives de l'OCDE, que la France a contresignées : à l'avenir, estime l'un des rapports de cet organisme, «les pouvoirs publics n'auront plus qu'à assurer l'accès à l'apprentissage de ceux qui ne constitueront jamais un marché rentable et dont l'exclusion de la société en général s'accentuera à mesure que d'autres vont contribuer à progresser».
Et un fonctionnaire de l'OCDE, Christian Morrisson, de suggérer aux gouvernements européens une réduction drastique des crédits de fonctionnement de l'école publique, ainsi que l'instauration de partenariats avec des entreprises qui, en échange d'investissements financiers, ont déjà pris pied, très largement, dans l'école. Coca-Cola, la firme Morgan ­ dont il était possible, du temps de Jack Lang, de commander un tee-shirt par un simple clic sur le site du ministère ­, la SNCF, participent déjà largement au financement et à la mise en place des nouvelles finalités de l'école, chargée non plus de former des élèves, mais d'éveiller en chaque élève un consommateur. Comme le prescrit un membre de l'Institut de l'entreprise, Jean-Pierre Boisivon, on ne doit pas dire «l'élève est au centre du système éducatif», mais «le client est au centre du marché».
Ce que Claude Allègre avait fort bien compris ­ et encouragé ­ en déclarant qu'au lycée il fallait apprendre à «rédiger un CV ou une lettre de motivation». Ce que préconisait également l'ex-grand-prêtre du ministère de l'Ignorance nationale, Philippe Meirieu, pour qui les enfants des milieux défavorisés devaient «apprendre à lire dans les modes d'emploi d'appareils électroménagers et non dans les textes littéraires» ­ réservés, cela va sans dire, à l'«élite».
Une école publique désertée par ceux qui demain dirigeront le pays, une école réservée, comme les bantoustans l'étaient aux Noirs d'Afrique du Sud, aux enfants des familles, de plus en plus nombreuses, que la société libérale rejette dans ses marges, une école qui les «occupe» en attendant qu'ils s'inscrivent à l'ANPE, telle est la réalité que camouflent les tirades «modernistes» des Tartuffes pédagogistes qui, en prétendant mettre l'élève au centre du système éducatif, y ont installé les marchands.
Des enseignants l'ont compris qui, dans leurs livres, leurs manifestes, leurs communiqués, dénoncent l'escroquerie des Pol Pot de la rue de Grenelle. «Sauver les lettres», «Sauver les maths», sont à l'avant-garde de ce combat. Mais, si la majorité fait la sourde oreille ou se contente d'ergoter sur des questions de méthode, d'horaire et de moyens, l'école de la République ne sera bientôt plus qu'un souvenir, et la République une dépouille.
MASCHINO Maurice T. _livres 

Parents contre profs de Maurice T. Maschino (27 août 2002)

L'Algérie retrouvée de Maurice T. Maschino (10 mars 2004)

Etes-vous un vrai Français ? Broché – 5 octobre 1988

Maurice T. Maschino ancien professeur de philosophie, journaliste et écrivain. Auteur de Parents contre profs, Fayard, 2002.


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